Lumignon
est un petit ver luisant comme les autres. Enfin, presque. Manger est sa grande
passion. Depuis tout petit, il a toujours faim. A peine le déjeuner achevé, il
rêve déjà du diner suivant. S’il le pouvait, jamais il ne s’arrêterait de
grignoter.
Ses
parents Luce et Léo le regardent tendrement. Les joues de Lumignon sont bien rondes
et son petit corps tout en courbes douces.
Lumignon
soupire. Il a au cœur un secret bien doux qui lui donne des ailes. Il est né
dans le creux d’un arbre par une nuit sans lune. Entre les feuilles, un rayon
d’étoile s’est glissé et lui a caressé le front. Au petit matin, un peu de
poussière d’or s’est déposée sur le ventre de Lumignon. Maintenant cela lui
fait comme une aura dorée qui irradie furtivement à chaque pas.
Lumignon
regarde souvent l’étoile là-haut dans le ciel. C’est devenu son étoile. Elle
est unique, celle qu’il reconnait partout et par tous les temps, même dans les
nuits encombrées de nuages ; celle qui lui chuchote des mots doux dans le
creux de l’oreille les jours de solitude.
Le
secret de Lumignon accroche un sourire rêveur au coin de ses lèvres. Lumignon
est ailleurs. Il vit dans un monde loin des autres, un monde où les
vers-luisants, la nuit, promènent une étoile. Il se sent si bien qu’il en
oublie de manger. Un jour, il oublie de déjeuner. Le lendemain, c’est le diner
qui saute. L’été approche, et Lumignon ne pense plus du tout à manger. Il ne
pense plus qu’à son étoile. « Cet amour le consume », disent ses
parents inquiets.
Lumignon
maigrit à vue d’œil. Il a souvent un peu froid. Il ne rêve que de s’enfouir
dans son lit bien douillet, tout en gardant un œil entrouvert pour guetter le
ciel.
Lumignon
dors beaucoup ces jours-ci. Pendant dix jours et dix nuits, il reste caché au
fond de son lit, bien au chaud sous sa couette. Dans la chaleur mouvante de ses
draps, Lumignon glisse dans un monde imaginaire. Il vit mille aventures
agitées, s’essouffle, se tourne et se retourne, rit aux éclats.
Sa
maman, Luce, reste à son chevet. De temps en temps, elle pose une main fraîche
sur le front brulant de son rêveur fou. Alors, Lumignon sourit dans son
sommeil.
Dans
ses rêves, Lumignon tout à tour est ROY d’un pays peuplé d’oiseaux multicolores
où les arbres sont bleus ; CHEVALIER sauvage sans peur et sans reproche qui
chevauche les dragons. Il est aussi AVIATEUR sur les ailes du vent qui poursuit
les étoiles, ou bien SURFEUR glissant sur les vagues pour faire la course avec
les dauphins ; ou encore DANSEUR virevoltant sur un fil tendu entre le
plus grand arbre de la forêt et le bout du monde, ou alors POETE farfelu qui
sautille sur les chemins en soufflant des vers sans rime.
Dix
jours un peu fous,
Dix
nuits pleines de vie
Chaque
minute vaut mille vies
Chaque
heure porte en elle un infini de possibles.
Au
matin du onzième jour, Lumignon se réveille soudain sans que rien ne le laisse
présager. Il ouvre les yeux, sourit à Luce endormie à ses cotés. Lumignon
repousse sa couette, il se sent différent. Léger, plus léger. Il se lève
rapidement. Vite, trop vite. Et se rassoit aussitôt.
En
levant ses mains pour se frotter les yeux, voilà tout à coup qu’il ne les
reconnait plus. Disparues les mains potelées, devant lui il trouve de
véritables mains de pianiste, avec de longs doigts noirs fuselés. Lumignon se
redresse bien vite et cours vers la glace de la salle de bain. Et là, un grand
cri fuse, un grand émoi…
Mais
qui est donc ce sombre inconnu dans la glace ? Lumignon lève la main
droite, et l’inconnu lève la main gauche. Lumignon se frotte les yeux, et
l’inconnu de faire de même. L’autre en face de lui ressemble un peu à ces jolis
grillons avec qui il jouait petit.
Luce
arrive doucement, elle pose les mains sur ses épaules et murmure : « Comme
tu es beau mon fils, tu es grand maintenant. La métamorphose est
terminée. » Lumignon bombe le torse, fier et souriant.
Il
sent quelque chose dans son dos, et essait de se retourner en se tortillant
pour voir ce qui peut bien le gêner comme ca. En soulevant ses épaules, il
entend un bruissement délicat, comme un froufrou, ou bien le battement d’aile
d’une libellule. Lumignon émerveillé réalise soudain que des ailes magnifiques ont
poussées dans son dos. Des ailes légères et transparentes pour s’envoler, pour virevolter,
pour planer, pour faire la course avec les nuages, pour rejoindre son
étoile ! Quel beau cadeau !
Lumignon
sort de chez lui. Dehors, la nuit est douce. Les grillons chantent dans un
parfum de jasmin. Et puis, surtout, là si proche, brille vive et joyeuse son
étoile. Lumignon n’hésite pas une seconde, et s’élance dans l’air bruissant.
Un
petit grain de lumière d’or flotte un instant dans la douceur de la nuit
tombante.
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